tous les chanceux habitants de l'empire soviétique et les soldats y devenaient le symbole grandiloquent de l'ordre de la faucille et du marteau. Autant vous dire que ça sentait pas la grosse gaudriole dans les casernes slaves. Le règlement, missel bureaucratique du régime, est la source et la réponse à tous les problèmes ou questionnement. Les dictatures kafkaïennes des pays satellites se sont crées des livres valant paroles d'évangiles. Le clampin moyen vivant dans ces havres de liberté n'a plus qu'à appliquer à la lettre les prérogatives et il ne pourra que devenir l'homme nouveau du socialisme réel. Pas de bol c'est souvent un ramassis de contre-sens et de délires mystico-politiques qui ne font que brider la vie encourageant la délation, le repli sur soi et la peur perpétuelle. Beau résultat qui fera le succès des polices secrètes et des prisons mouroirs. La Tchécoslovaquie comme ses voisins à drapeaux rouges ne fera pas exception à la perte totale d'indépendance face à l'encombrant voisin moscovite et son mode de vie totalitaire.
En 1953, on combat le capitalisme et on flippe pas mal de voir les chars Sherman des yankees venir débouler sur les plates bandes du paradis terrestre. Du coup on a un peu tendance à la paranoïa, ce qui tout le monde le sait est la meilleure conseillère possible quand on a la responsabilité d'une armada de tanks. Toujours sur le qui-vive, les unités de défense tchèques n'en restent pas moins un pion dans une guerre froide qui ne se dégivre guère. Bref tension maximale pour une action minimum. Le service militaire, passage obligé de toute cette jeunesse n'est qu'une suite indigeste d'humiliations, d'ordres incohérents et de discours lénifiants sur Lénine. Les héros de ce bouquin ne sont pas vraiment des chiens de guerre mais juste des rouages d'un système inhumain qui ne rêvent que de la vie civile, des filles faciles et peut être d'un boulot pas trop relou quand il faudra virer le treillis. C'est quand même dingue que les mecs ambitionnent pas de concurrencer Stakhanov dans une mine de sel où de vouloir s'enrôler comme spetsnaz pour aller défendre la Sibérie juste avec sa bite et son couteau. Ambiance à la Kundera mais en mode farce. Les protagonistes sont les pieds nickelés du marxisme chapeautés par des sadiques incompétents qui ne vivent que par et pour le maigre pouvoir qu'ils ont sur leurs subordonnées.
En fait c'est comme dans une société capitaliste (cherche pas t'as les deux pieds dans cette merde) quand ton manager se branle la nouille en pensant au pouvoir qu'il a d'engueuler des gamins en stages ou de changer des plannings à sa guise, c'est du gagne-petit, de la gaudriole pour blasés, de la fierté discount pour lâches.
Les entraînements en T-34 se succèdent pour de bien piètres résultats. La fierté blindée russe qui avait zlatané les tigres teutons pendant la seconde guerre mondiale ne sert plus que de personnage subalterne dans une guerre qui ne serait que nucléaire. Les soldats quand à eux, troufions à perpet' resteront dans ce cas là une chair à canon toute trouvée, rempart bien fragile entre deux blocs qui se haïssent. Ce livre nous montre ce système implanté derrière le mur de Berlin et qui perdurera jusqu'à ce que la dictature de l'argent remporte la partie sur des peuples déjà écrasés. Avec humour et cynisme, Josef Skvorecky nous raconte le quotidien de toute cette jeunesse sacrifiée au nom d'intérêts internationaux.
Un bouquin qui se lit vite et qu'est recommandé par les temps actuels. Pour tous ceux qui ne veulent plus se prendre la tête et qui sont prêts à lâcher prise sur quelques unes de leurs libertés au profit d'un homme fort, d'un guide, d'un chef qui prendrait les bonnes décisions à leurs places et les renverraient dans ce monde enfantin où ils n'ont plus qu'à suivre sans se poser de questions.
" L'adjudant avait l'impression de s'éveiller après une idylle pastorale où des bergers en uniforme menaient paître des brebis au coeur simple pour les lâcher deux ans plus tard dans le monde atrocement compliqué d'une incompréhensible partie de checks and balances, où toute l'activité humaine et administrative se ramenait à une lutte incessante pour des places avantageuses, meilleures et plus lucratives encore. Il lui semblait que cette société complexe de camarades était liée par un fil excessivement ténu d'amitiés et d'inimités réciproques, d'obligations et de service, de sympathies et d'antipathies mutuelles, de liens de parenté et de rapports qui rappelaient les lois de la vengeance par le sang; qu'il y avait là, toujours en cours des opérations compliquées pour lesquelles il fallait compter avec l'aide des uns, la résistance des autres et les intrigues possibles de tierces et multiples parties. Il était stupéfait du travail cérébral visiblement immense que l'on consacrait ici à la combinaison des possibles, à l'évaluation des forces et des faiblesses, de la valeur qu'acquérait la connaissance de certains actes aux fins de chantage, ou l'ignorance d'autres actes. Face au paisible je-m'en-foutisme de l'armée, les civils semblaient vivre dans un état de préparation permanente au combat, livrer en permanence avec un courage obstiné le fraternel combat de tous contre tous dont le but et le sens disparaissaient on ne savait où dans l'incompréhensible, car toute cette action confuse, financée pour d'impénétrables motifs avec les ressources de l'Etat, semblait être le modèle le plus exemplaire de l'instabilité des choses, de cet ultime vestige de grec galvaudé dans les séances d'éducation politique: panta rei; des transformations incessantes dans la lutte dialectique des contraires où les uns émergent tandis que d'autres disparaissent sous la surface de la carrière, et ceux qui se noyaient attiraient les autres par les pieds pour remonter bien vite à la surface en se hissant sur les épaules de ceux qui coulaient."

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire