Tardi le prolifique et talentueux nous livre une nouvelle bd sur la 1ère guerre mondiale, le dessinateur porte tout au long de son oeuvre cette boucherie moderne comme son fardeau, sa croix. Encore une fois Le dernier assaut nous montre où nous amène le génie humain. Personne n'en sortira vivant à part les marchands de canons, comme d'hab le ton est cynique, blasé mais tellement percutant. Face à ces milliers d'hommes envoyés pourrir dans un enfer de Dante créée par les politiciens et les riches industriels. Comment sortir de ça indemne? Nos aïeux envoyés au delà des pires souffrances, héros sans noms aux visages défigurés et aux souvenirs que personne ne voulaient croire ou même entendre. Vite oublier, la paix des capitalistes est une kermesse à flonflon et orchestre folklorique. Les gueules cassées, les carcasses inconnues retournées mille fois dans la boue par les pluies d'obus, les soldats pour qui la respiration ne devient plus qu'une longue et lente agonie grâce aux inventives facéties des chimistes européens, les amputés, les fusillés pour l'exemple, les laissés pour compte, les fleurs au fusil & les couronnes sur les tombes.
La première guerre mondiale est le symbole européen du modernisme destructeur. L'alliance de la soif de l'argent et de puissance qui poussera des nations par dizaines dans le chaos des assauts sauvages, des corps à corps où l'on tue l'ennemi à coups de pelles, des charges héroïques et inutiles sous la mitraille et les shrapnels. Le courage et la lâcheté entremêlé comme les corps dans les barbelés servant de repas aux corbeaux, c'est donc ça le progrès? Tout ce que l'homme a pu inventer de pire expérimenté sur quelques no man's land improbables, zones de souffrance définis sur des cartes d'états-majors d'où des généraux aux multiples décorations et aux uniformes impeccables décident en un tour de main de sacrifier la vie et l'espoir de milliers des leurs. Cette guerre ne façonnera pas l'Europe moderne puisque l'artiste peintre autrichien viendra prendre sa revanche quelques années plus tard.
L'état-major français se croit en 1914 au dessus du lot. Fort d'un empire colonial et de la chair à canon qui l'accompagne, de l'esprit aiguisé et batailleur du gaulois, alimenté par la multitude de la jeunesse sortie des écoles et des usines pour enfiler l'uniforme bleu, encouragé par la propagande belliciste et la foule imbécile, il ne pouvait rien arriver de bien méchant. La guerre ne serait qu'une partie de plaisir, un road trip chez les fridolins et on allait montrer au Kaiser de quel bois se chauffe la nation française. Le scénario était sympa mais quatre ans plus tard c'est une victoire dans la douleur. La boucherie a été abyssale, toute une génération réduite à néant pour rien.
Augustin est brancardier dans cette armée en débandade, 4 ans de conflit qu'il a traversé comme il a pu, au milieu des copains morts et des salauds vivants, entre les gaz moutarde et les viscères de ses frères d'armes. Dans cette bd on suit donc un bout de son errance dans cet univers sans nom. Les dessins caractéristiques de Tardi nous transporte dans cette horreur si programmée, si décidée. Se dire que ça aurait pu être éviter et arriver à un tel résultat. Le livre est accompagné d'un cd et j'ai un peu flippé en l'écoutant la première fois. Dominique Grange y chante le quotidien de la guerre, le quotidien de ces jeunes hommes qui ne reviendront plus. Triste litanie en hommage à tous ceux profondément détruits par ce fiasco. Elle est accompagnée par le groupe Accordzéam et ouais là je m'attendais à un mix entre du jazz manouche et du Marcel & son orchestre et heureuse surprise on reste sur de la chanson française sans fioriture avec l'ambiance qu'il faut vu les textes.
Tardi signe encore un pur bouquin, ça en devient lassant de sa part, plus que vivement recommandé.
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