9.23.2016

Bloody sunday.


  Bonnot c'est l'image d'Epinal de l'anar franchouillard, sauf que là on est loin du militant qui se
tape toutes les manifs avec son t-shirt du Goeland, son keffieh & ses tracts incompréhensibles qui parlent de faire un strike dans l'état, les flics et les patrons le tout dans une ambiance de kermesse leader price qui sent bon la merguez cgtiste. Début du XXème siècle, les anarchistes sont pour la plupart des petits artisans qui vivotent dans une ambiance à la Germinal. Boulot pour les gosses, journée de 15 heures, accidents du travail meurtriers, bref le "I have a dream" de Pierre Gattaz est autant dans la place que Booba est dans ta chatte. Les journaux anarchistes touchent une forte communauté d'exilés qui fuient la répression dans leurs pays ou tout simplement les services militaires. Les insoumis sont aussi des fortes têtes et finissent bien souvent sur des listes aussi noires que l'étendard de leur lutte. A cette époque les socialistes commencent à goûter aux stapontins dorés des parlements européens et se détournent de plus en plus de la populace pour ne plus verser la larme que dans des discours aussi beaux que vides de sens. Le PS pas encore né est déjà en PLS. Une fausse couche pourtant déjà pleine de la merde dans laquelle ils sont encore englués actuellement. Le pouvoir appartient aux grands propriétaires, les bourgeois ont remplacés les aristocrates et tout le monde se congratule dans le sang encore frais des communards parisiens.


   Le meilleur des mondes sauf pour les 99% de la population qui vivent et crèvent dans les bidonvilles et les usines insalubres. Le petit peuple à la gueule noire et le goût du sang dans la bouche tant il profite à plein de l'ère industrielle et du capitalisme triomphant. C'est dans cette atmosphère que certains anarchistes, révoltés par les conditions de vies et les débats stériles décident de rentrer dans l'illégalité. "La propriété c'est le vol!", fort de cette devise, ils décident de jouer les Robins des bois en allant récupérer ce qui revient de droit aux exploités. D'abord des casses contre les coffres-forts des maisons cossues puis certains se disent qu'il est plus que temps de frapper fort, quitte à passer le point de non-retour, celui qui ne peut que se finir par l'échafaud ou le bagne. Bonnot est de ceux là, avec des camarades rencontrés au gré des luttes il se forme un crew qui n'hésitera pas à se servir de ses browning pour se frayer un chemin entre les flics et les banquiers.

   Le gang se fera surtout connaître pour l'utilisation systématique de la voiture, à l'époque très rare et considérée comme un gadget de riche, les Satanas & Diabolo libertaires s'en serviront pour marquer les esprits et foncer dans la vitrine de l'établishment à toute berzingue. Fusillades et grosses cylindrées fourniront des arguments de poids pour la légende qui commence à s'installer dans toute la France. Les journaux de l'époque n'auront de cesse d'attiser la panique des foules dociles face à cette horde qui préfère la mort à ce système soit disant pacifié. C'est à cette époque que Bertillon, flicard de son état inventera la police scientifique qui influencera le monde entier (et par extension sera responsable des 10 000 épisodes des Experts). La police et les indics tentent le tout pour le tout,  les perquisitions massives dans le milieu anarchiste prouveront surtout ce que vaut un anarchiste à cette époque; Prêt à risquer la prison pour ne pas être une balance, prêt à tous les risques pour protéger son idéal, les lettres de noblesse s'écriront dans le sang de ces inconnus au grand coeur qui préfèreront se sacrifier pour protéger la camaraderie. Héros anonymes qui seront brisés par l'appareil répressif d'un état qui vacille. 


   Les cibles de la bande à Bonnot sont parfois contestables, tant pis, c'est la guerre sociale! Les fusillades dans les rues sauront là pour montrer que ceux qui luttent sont prêts au sacrifice ultime et c'est bien ça qui fait flipper les élites du pays. les courses poursuites avec la maréchaussée sont magiques, fast and furious versus gardes champêtres à vélo. On ne compte plus les blessés dans chaque camp et même si les anarchistes savent comment va se finir leur aventure ils sont bien décidés à vider un paquet de chargeurs sur chaque flicard qui viendra leur expliquer les bienfaits de la réinsertion. On ne peut que les comprendre. A croire que finir sous la guillotine ou en Guyane aux travaux forcés ne fait pas bander les voyous en chapeaux melons. L'adrénaline du combat au grand jour contre la flicaille a quand même une autre gueule et permet de montrer de quel côté se trouve le courage.

   Toutes les bonnes choses ont une fin et la traque des ennemis publics number one se clôturera dans deux sièges épiques, Fort Alamo des temps modernes où l'on verra la cruauté des flics et la lâcheté de la populace, à croire que rien n'a changé. Bonnot n'est certes pas un saint, il meurt pourtant en martyr. Ce bouquin relate l'épopée de ces hommes et femmes qui ont tout sacrifiés pour ceux qu'ils croyaient juste. Instructif à plus d'un titre.

   "Midi, Il y a maintenant près de trente mille personnes autour du pavillon. trente mille personnes venues assister à l'agonie d'un illégaliste. L'agonie de la bête va durer des heures. La fusillade ne connaît aucun répit. Comment Bonnot peut-il tenir derrière des cloisons fragiles que les balles percent de part en part?
   Tous les assiégeants pensent jouer un rôle historique. Ils sont persuadés qu'ils ont à venger les crimes de Bonnot. Beaucoup se prennent pour des Romains. C'est un grand concours de civils armées d'épées, de fusils. Et même de fourches et de bâtons. Beaucoup de visages sont échauffés par l'alcool et l'enthousiasme de participer à une croisade de salubrité. On boit, on parle, on s'interpelle, on rit. On le peut, car de son repaire Bonnot n'est pas en mesure d'atteindre tous ces bravaches et redresseurs de torts de pacotille. Et comme il se doit, les responsables du siège ont un air compassé et résolu. Tous ces gens qui hurlent à la mort, pris individuellement, sont des pleutres et des lâches pour la plupart. Leur nombre leur donne un sentiment de puissance invincible. Cette foule est bourreau. elle a accepté les yeux fermés les récits fantaisistes de la presse sur Bonnot, accompagnés de commentaires mensongers. En voulant crucifier Bonnot, la populace obéit à une suggestion d'autant plus puissante, qu'elle est collective. Elle est persuadée d'accomplir un acte méritoire avec l'approbation de tous. Quant à la police, elle se montre incapable de se maîtriser. Sa tendance est d'aller au plus facile, au plus spectaculaire pour se venger et se racheter de ses échecs successifs. Au plus malsain, aussi. Cette police donne le vertige.
   Bonnot à cette heure, ne terrorise plus le monde qu'au passé composé. Mais le châtiment, ou plutôt la vindicte, sera à la mesure des courageux justiciers. Voici le lâche "malheur aux vaincus" qui libère dans l'homme ce qu'il y a de plus bas, de plus vil et de moins avouable. on a eu tellement peur. Maintenant que la bête est là, impuissante, pourquoi ne pas se saouler de vengeance?"

    William Caruchet - "Ils ont tué Bonnot" (1990).

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